Chronique De L'Est De L'Éden
1980 : Mort de Tito chef de la Fédération des États de Yougoslavie , une 'diaspora' ethnique créée de toutes pièces dans 'après guerre mondiale où se côtoient des Catholiques , des Musulmans , des Orthodoxes et sans doutes quelques Juifs et Tziganes rescapés... .
Dix Ans plus tard la montée des Nationalismes est exacerbée entre Slovénie , Croatie ,Bosnie-Herzégovine , Kosovo , Serbie , Albanie , Monténégro . Dans un contexte de ferveurs religieuses et de velléités d'indépendance .
Des populations cosmopolites , enchevêtrées de part et d'autres des frontières des états membres, se préparent vigoureusement à la grande boucherie nuptiale des autochtones et des civils en priorité ...;
La Guerre éclate le 5 Avril 92 , jour de la déclaration d'indépendance Unilatérale de La Bosnie-Herzégovine , faisant sécession avec la grande Yougoslavie à majorité Serbe , à cause d'un leader assassiné lors d'un mariage selon les uns et de la disparitions multiple d'opposant à une grande Serbie selon les autres ... ; Sarajevo entourée de collines est alors bombardée... ;
Le siège durera quatre ans sous une pluie quotidienne d'obus de canons et de mortiers lourds , de balles de snippers et de cris d'enfants... ; Coupée de tout , les habitants devront vivre sans eaux ni chauffage , ni électricité,ni vivres et médicaments que ceux fournis par les ponts aériens de la Croix-Rouge et de l'O.N.U. comme à Berlin presque quarante-cinq ans plus tôt....;
L'histoire se dédoublant étrangement parfois ,Sarajevo sera le Beyrouth d'un jour sans fin de vendettas répétitives entre Musulmans bosniaques ,Orthodoxes serbes et Catholiques Croates minoritaires selon les différents quartiers avec les haines et les alliances du moment...;
Cette chronique commence par un après-midi pluvieux d'une journée d'automne , quelque part dans un quartier 'populaire' du sud de la ville .
La Patrouille progressait lentement parmi les décombres : cinq hommes pliés en deux , la peur au ventre , l'eau dégoulinante sur les treillis , leurs casques bleus se détachant nettement sur le crépis marron-jaunâtre des maisons éventrées...;
Quelques heures plus tôt , le commandement leurs avait signalé par radio des tirs intempestifs du toit d'un immeuble . On dénombrait déjà une dizaine de morts , ils avaient l'ordre formel de "régler la question" en tant que représentant du maintient de la paix ... .
Le chef , un néerlandais engagé volontaire , enjambait un poteau électrique à terre lorsque la première balle frôla son épaule .... , immédiatement , il ouvrit le feu vers les fenêtres avoisinantes surplombant la ruelle , suivi par ses hommes dans un bel ensemble de solidarité martiale fait de tirs de riposte en rafales en aveugle ;
La deuxième balle frappa le Caporal , un malaisien originaire de Schooum à hauteur de l'avant-bras , il fallait s'abriter à tout prix avant de jouer aux pipes en plâtre .
Ils pénétrèrent au pas de course dans le jardinet d'un des rares pavillons encore en état .
La porte en bois à moitié vermoulue vola en éclats sous les coups de bottes ...; ils s'engouffrèrent à l'intérieur enfin à l'abri des 'shot' meurtriers .
La pièce basse , centrale était sens dessus-dessous : chaises renversées ,vaisselle éparse , matelas éventrés, tiroirs de commode, au contenu bigarré ,fracassés au sol , rien que de l'ordinaire.
Un escalier en bois à la rampe désossée menait à l'étage . Tandis qu'on prodiguait les premiers soins au blessé , Aronowicz, un polonais naturalisé canadien , originaire d'Ottawa entrepris l'escalade des marches , le fusil-mitrailleur collé à la hanche , le doigt crispé sur la détente , sa sueur le faisant larmoyer...; Il déboucha dans un couloir mansardé au planché encombré de détritus , jonché de déjections de toutes sortes . Il avançait à pas mesurés , l'oreille tendue à rompre , dans un univers crépusculaire où seule le martèlement régulier de l'averse sur les combles l'attachait aux vivants . La première chambre était vide à part un sommier métallique renversé , une cage à oiseaux, bariolée de rouge cerise et vert concombre, avec son dôme d'église russe en piteuse état suspendue à sa chaîne...;
Quelques mètres plus loin , le canon de son arme pointée en avant , précédant sa silhouette massive, il entra dans une autre pièce et se figea sur place : deux cadavres assis à même le sol , le dos appuyé au mur , lui faisaient face . Des morts , on en voyait tous les jours , mais la , le macabre étalait son opulence...; -" Bon Dieu ! hé vous autres,venez voir !!!..." . Il fût rejoint par , le fusilier responsable des explosifs , un ancien des forces spéciales à Belfast ...:
-" God bless us, poor children...!" .Ils se retrouvèrent bientôt , tous réunis , debout en demi-lune , autour des cadavres. Le soldat Blanchet originaire de Maubeuge s'accroupit et alluma une cigarette cherchant une réponse dans des yeux dépourvus d'étincelles , fixant un horizon bien au-delà des limites de la ville .
Il s'agissait d'un jeune homme et d'une jeune fille à peine sortis de l'adolescence . On les avait déshabillés à moitié et attachés ensemble avec du fil de fer barbelé ; On leurs avait également lié les mains gauches l'une sur l'autre avec de la mauvaise ficelle de cuisine , tranché l'annulaire et le petit-doigts qu'on avait enfoncés dans leurs bouches , puis on leurs avait tiré un balle dans la tête à chacun , de face , en plein front ,à bout portant , leurs cervelles maculant l'espace clos .
Leurs effets personnels s'étalaient à leurs pieds ,on y avait à peine touché : une montre fracassée , des boucles d'oreilles arrachées du lobe , quelques vêtements , des livres , des dessous féminins , une valise de carton bouilli , un sac à main en plastique transparent bleuté , une trousse de toilette , un cahier d'écolier aux pages déchirées , à la calligraphie bien ronde , presque poupine , et un petit carnet de notes en cuir noir ...toute leurs vies en quelques pages . Une vapeur nauséabonde s'agglomérait en masse compacte, presque tangible , au ras du sol . Elle semblait adhérer aux membres à chaque déplacement d'air . Unis ,malgré eux , comme témoins à ces noces de chair , ils en oubliaient presque la guerre... . Le sergent s'accroupît à son tour et ouvrit le calepin de ses mains malhabiles , en deux ans , il avait appris à parler la langue du cru , il lu à haute voix pour ses camarades:
"Dans les douceurs extrêmes
de soleils éphémères
jaillit de cent mille gouffres
de ta terre écorchée
le feu aux mille éclats
que tu laissas sans toi
un jour s'échapper
comme des notes de couleur
Homme fée
saveurs de mon ombre
qui porte
comme une femme en son sein
porterait un enfant
des caresses de cristal
magie insaisissable
Écoute mon histoire...
elle dit d'une caravelle
qui embrassait la mer
illuminée d'un ciel
qui enflammait la terre
en écoutant le vent
les rêves inaudibles
de ces lieux oubliés
répétitions noires et blanches
qui sucent la sève de l'âme
Et aussi saveurs rances
qui vous restent en travers
à force de la gorge
à force d'eux
à force...
de penser les maux
d'éclats de rires
en éclats de peur
Restait un vieux bateau
rongé par les eaux troubles
n'osant plus naviguer
il craignait sa tempête
Amazone déchue
dans l'ambre de son glaive
j'ai assourdi mes sens
et j'ai violée ma vie
les élans créateurs
je les ai bâillonnés
pour mieux me regretter
Par des chemins arides
j'ai voulu enterrer
ma seule destinée
Je me voulais mouette
pour pouvoir m'envoler
et j'ai coupé mes ailes
et j'ai renié mon nom
Invisibles mirages...
Indicibles mystères
aux multiples naissances
toujours inachevées
Vous , torpeurs indécentes
perfides illusions
je vous tue au présent
du fond de vos entrailles
du fruit de mes entrailles .
La peur de mon être
part cette nuit en fumées
avec la lune blanche...
J'ai rêvé de ma mort
de cette soeur sereine
qui s'étreignait en moi .
Cette Nuit
mes ténèbres s'allègent ,
J'ai rêvé d'une fleur
et je suis une enfant
et je suis mon enfant
qui n'est pas encore né...
Et déjà je suis femme
en qui la vie s'épanche
et se penche à la vie .
Cette Nuit...
Je n'ai plus peur ."
L'averse était de plus en plus forte , personne ne parlait.... ;
Dehors , Le tueur embusqué sur un toit , héros nationaliste ou fou de Dieu , les deux peut -être , jouait au 'Créateur' en quantifiant ses victimes selon son bon plaisir; Le seul juif-Arabe du groupe ( et peut-être même de la terre entière) rompit le cercle , il fît trois pas en farfouillant dans ses poches dont il sorti un gros marqueur noir , tout le monde le regardait.....; Il écrivit , en lettres maladroites , sur le mur opposé aux cadavres quelque chose qui lui échappait :
-"Malgré les nombreux martyres , les Houris du Paradis sont toujours vierges..., les serbes sont orthodoxes quand les corbeaux croassent et ma grand-mère juive athée vous emmerde! ,comment peut-on faire ça à ses propres enfants , comment!?"
Ils sortirent un par un , à reculons . Le Sergent laissa son marqueur dans la chambre , il quitta la pièce en dernier .Il s'était peut-être écoulé une demi-heure...., l'éternité dans un verre d'eau .
Pour une fois , ils avaient un manda en bonne et due forme leurs donnant le droit de riposter
"en trouvant une solution adaptée , propice au maintient de l'ordre Public" .
Le sergent leurs intima l'ordre de ne pas bouger , il refît l'ascension et balança dans la chambre
une grenade incendiaire à fragmentation.....: il ne fallait surtout pas risquer un incident diplomatique .
À l'extérieur , la pluie avait pris des allures de Mousson .